CONCLUSION

Si 2022 a été une année marquée par les discussions autour de la « Grande Démission » et des difficultés de recrutement post-pandémie, le début d’année 2023 place une nouvelle fois le travail au centre de l’actualité sociale. La réforme des retraites cristallise les débats ; des millions de Français manifestent leur opposition à un projet de loi défendant une « valeur travail » à bout de souffle. Le rapport au travail et le rapport au temps sont des sujets qui passionnent, et qui se posent avec d’autant plus d’acuité à une époque où la crise écologique vient bousculer nos représentations. Les phénomènes météorologiques extrêmes (canicules, sécheresse, tempêtes) et la crise énergétique accélèrent encore la conscientisation de l’urgence écologique et la nécessité de transformer le modèle. La vision d’un monde stable, prévisible où les sociétés humaines iraient irrémédiablement vers toujours plus de progrès est remise en question.

Par ailleurs, l'organisation des temps de vie selon le triptyque « éducation – labeur – retraite » vole en éclats. De plus en plus d’individus remettent en question la place, prépondérante, qu'occupe le travail dans leur vie, et interrogent le sens même du mot « travail ». Le travail ne se limite plus à l’activité réalisée dans le cadre d’un emploi rémunéré. Cette définition, qui a longtemps prévalu et qui a modelé les politiques publiques de ces quarante dernières années, ne semble plus correspondre à la réalité sociale qui se trouve dans les faits être de plus en plus fragmentée. Celles et ceux qui démissionnent, se reconvertissent, cumulent plusieurs activités, questionnent les entreprises sur le télétravail et le droit à la déconnexion, refusent des postes aux conditions de travail pénibles ne semblent dire qu’une seule et même chose : nous ne voulons pas perdre notre vie à la gagner. Certes, le monde du travail est de plus en plus polarisé entre d’un côté, des cadres nomades qui ont les ressources (financières, familiales, professionnelles, etc.) pour jouer avec les cadres de l’emploi, voire même les définir, et de l’autre, des employés qui vivent au quotidien une expérience beaucoup plus contrainte, et aliénante, de l’activité salariée. Pour autant, il n’en reste pas moins que la question de la place occupée par le travail rémunéré dans la vie semble préoccuper toutes les catégories sociales. Les débats autour de la réforme des retraites en sont la preuve ; il s’agit aujourd’hui de se poser la question de la soutenabilité du travail. Or, la question de la soutenabilité du travail est étroitement liée à celle de la soutenabilité des conditions de vie sur terre.

De fait, nous vivons une crise des représentations du travail qui s’enchevêtre avec les enjeux de la crise écologique. Les questionnements sur le sens du travail et la quête effrénée de productivité traversent une majorité de citoyens : qu’est-ce que « bien » faire son travail ? À quoi je contribue lorsque j’exerce mon métier ? Est-ce que je contribue à créer les conditions d’une société plus juste, plus soutenable ou au contraire, est-ce que j’alimente une machine productiviste aux conséquences délétères pour la planète et ceux qui l’habitent ?

Pendant des années, les questions écologiques ont été cantonnées à une dimension environnementaliste, réduites au coût carbone. L’écologie semblait être avant tout « le problème des scientifiques ». Aujourd’hui, l’écologie est perçue comme un sujet systémique, il s’agit de préserver les conditions d’habitabilité sur terre et pour cela, de penser et, le cas échéant, restaurer les liens d’interdépendance. Prendre soin du vivant, c’est prendre soin de la planète et des liens sociaux. L’un ne va pas sans l’autre. Dès lors, il est urgent de repenser nos modes de vie, nos modes de production et de consommation, nos manières d’interagir et donc, in fine, nos organisations et modes de travail à l’aune de la crise écologique. Il n’y a pas d’un côté ceux qui parlent de l’emploi et ceux qui parlent d’écologie. Cette opposition artificielle n’a pas de sens ; c’est l’un des premiers enseignements de ce rapport exploratoire. Si le monde du travail ne change pas, si l’on n’accepte pas de remettre en question les modèles sociaux sous-jacents, nous n’allons tout simplement pas maintenir les conditions de vie sur terre. Nous n’avons donc pas le choix.

Cela doit interpeller les acteurs de l’emploi à plusieurs titres :

> Les métiers dits en tension sont précisément les métiers dont on aura le plus besoin pour mener la transformation de notre modèle de société. Les métiers du soin et des services à la personne (agents d’entretien, aides à domicile, enseignants, infirmiers, sage-femmes, etc.) et les métiers de la maintenance (ouvriers qualifiés du BTP, techniciens de maintenance) figurent parmi les métiers comptant le plus de postes à pourvoir d’ici 2030. Il s’agirait donc de valoriser ces métiers essentiels et de reconnaître ceux qui prennent soin des liens, des autres et des choses.

> Ces métiers en tension sont des métiers exigeants, peu ou mal rémunérés et peu valorisés dans les imaginaires collectifs. Pour rendre ces métiers attractifs, on ne peut s’affranchir d’une véritable réflexion sur les conditions de travail (temps de travail, rémunération, espaces et environnements de travail…) tout en les reliant à des questions écologiques (trajets domicile-travail, normes professionnelles, outils et produits utilisés dans le cadre de la pratique professionnelle, etc.).

> Les réflexions sur la finalité du travail et l’organisation du travail ne pourront se mener sans l’apport des premiers concernés. Nous l’avons vu dans le rapport, la crise écologique nous invite à repenser notre conception de l’exercice du pouvoir. Dans un monde sans certitudes, le modèle techno-centré, vertical et descendant ne fonctionne pas, et s’avère même être contre-productif pour mener les transformations dont nous avons besoin. À l’échelle des organisations, cela signifie revoir concrètement la manière dont sont prises les décisions stratégiques et qui sont les parties-prenantes associées.

Ainsi, nous invitons les organisations qui souhaitent se saisir de manière sincère de la question de la transition écologique à s’appuyer sur trois questions fondamentales pour guider leur action :

  • comment ne pas nuire à la planète ? c’est-à-dire, examiner son modèle de production et ses conséquences sur l’environnement ;

  • comment ne pas nuire à ceux qui l’habitent ? c’est-à-dire, internaliser les « externalités » de son modèle d’activité et inclure les communautés locales dans les prises de décision stratégiques ;

  • comment ne pas nuire à ceux sur qui reposent l’activité de l’entreprise ? c’est-à-dire, mener une réflexion concertée sur le contenu des métiers et les conditions d’exercice du travail de l’ensemble des personnes impliquées dans la chaîne de valeur, qu’elles soient internes à l’entreprise (salariés directs) ou externes (freelances, sous-traitants, fournisseurs, etc.).

Notre invitation est de repenser la notion même de « contrat de travail ». Il s’agirait de sortir d’une vision strictement utilitariste du salarié comme un individu à qui on louerait la force de travail pour un temps (in)déterminé mais bien de le reconnaître comme une personne aux multiples rôles à qui, en tant que structure sociale, on assurerait de bonnes conditions d’existence. Il ne s’agit pas de promouvoir un néo-paternalisme où les entreprises prendraient en charge les aspects de la vie privée des individus mais bien de défendre une vision de la société où le travail retrouverait sa juste place.

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