1.2.1. La domination d’un mode de management gestionnaire
En pleine révolution industrielle, l’approche ingénieriste du monde pénètre le monde du travail. En 1911, Taylor pose les principes de l’organisation scientifique du travail (OST) . Son objectif est alors d’accroître la productivité des ouvriers dans les usines. Les deux principes clés du taylorisme sont la division horizontale du travail (les ouvriers effectuent des gestes élémentaires, précis et répétitifs) et la division verticale du travail (la conception du travail est réservé aux « cols blancs » tandis que les ouvriers, les « cols bleus », exécutent les tâches pensées par les premiers). Henry Ford prolonge les principes de l’OST en cherchant à atteindre « the one best way » pour chaque ouvrier. L’idée est alors d’optimiser et de contrôler le travail afin de maximiser la productivité .
Cette conception du travail irrigue les méthodes de management moderne. Des Trente Glorieuses à aujourd’hui, de nombreuses organisations se sont inspirées des principes du taylorisme. Division horizontale du travail, contrôle de la production, standardisation des process, reporting… le management est présenté comme une science, censée être neutre et impartiale. Nous savons désormais que ce type de management qualifié de « top-down » – qui repose sur le contrôle et l’atteinte des objectifs individuels – contribue fortement à l’augmentation de la souffrance au travail .
Dans Du Labeur à l’ouvrage, Laetitia Vitaud montre comment l’industrie automobile a servi de matrice pour toute l’économie de masse du XXe siècle, que l’on pense à l’organisation du travail dans des secteurs comme la grande distribution ou la restauration rapide . Durant les Trente Glorieuses, on organise la production de biens et de services sous ce modèle gestionnaire et on trouve des contreparties pour les salariés ; c’est ce qu’on appelle le « compromis fordiste ». Le travail se rapproche alors du « labeur » (division des tâches, rigidité des horaires et du lieu de travail, lien de subordination institué par le salariat), mais en contrepartie, les salariés bénéficient d’un certain nombre d’avantages : stabilité du travail offerte par le CDI, augmentation du pouvoir d’achat, protection sociale, avantages sociaux, congés payés, etc. Ces acquis sont le résultat de luttes collectives. Tout au long du XXe siècle, les salariés, au sein d’organisations syndicales et professionnelles, se mobilisent pour contrevenir à la pénibilité de l’OST et obtenir des contreparties matérielles et sociales (accès au logement via l’accord de prêts bancaires, à la santé via la protection sociale, aux loisirs via les congés payés…). Ce compromis fordiste s’est aujourd’hui considérablement effrité.
Durant la crise du COVID, le recours massif au télétravail a mis en lumière les failles du management traditionnel, encore largement imprégné d’un mode « command and control ». Schématiquement, le manager vise en priorité l’atteinte des objectifs chiffrés et la performance de son équipe. Son rôle est de planifier et piloter l’activité, de contrôler que le travail a été fait selon les procédures – il passe un temps certain à s’assurer que le reporting et les tableaux de bord sont à jour. Dans les organisations, le management « command and control » va avec une culture du présentéisme ; on mesure l’engagement des salariés à l’aune des heures passées au bureau et l’attention portée au collectif compte moins que la performance économique. La crise sanitaire a largement participé à la remise en question de ce type de management qui laisse peu de place à la co-construction, à l’autonomie et à la confiance, qui sont pourtant au cœur des revendications actuelles.
[1] Frederick W. Taylor (1911), The Principles of Scientific Management, Harper & Brothers Publishers [2e édition].
[2] Pour une histoire du management, voir : Thibault Le Texier (2016), Le maniement des hommes : Essai sur la rationalité managériale, La Découverte.
[3] Nous avons détaillé ces phénomènes dans une précédente note : Yaël Benayoun et Pauline Rochart (2020), « Cultiver les liens d’appartenance à l’entreprise », Utopies x Groupe BPCE. Consultable sur demande.
[4] Laetitia Vitaud (2019), Du Labeur à l’ouvrage, Editions Calmann Levy.
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