1.2.3. La RSE : un objectif de plus ?
Depuis les années 2000, les données liées à la RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) des entreprises font l’objet d’un suivi précis. Dans une note de France Stratégie, les auteurs rappellent que la multiplication des lois et des normes ont contribué à faire de la RSE un indicateur de plus dans les organisations :
« Le cadre législatif et réglementaire français et européen relatif à la RSE s’est progressivement enrichi, notamment depuis la première loi française relative aux nouvelles régulations économiques (« loi NRE ») du 15 mai 2001, obligeant les sociétés cotées à publier dans leur rapport annuel des données relatives à la prise en compte des conséquences sociales et environnementales de leur activité. »
Frédéric Lehmann et Laurence Vandaele (2019), « RSE et performance globale : mesures et évaluations », France Stratégie.
On peut s’en réjouir. En effet, on peut arguer que ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Les multiples rapports d’activité RSE ont l’immense intérêt d’objectiver les démarches, de produire des indicateurs précis, et ainsi de permettre un suivi dans le temps et, éventuellement, un contrôle par des organismes tiers . Depuis 2017, les grandes entreprises soumises à une déclaration de performance extra financière (DPEF) doivent rendre ces rapports publics, puisqu’elles ont l’obligation de publier les données sur leur site internet Les indicateurs sont liés aux thématiques suivantes :
transition énergétique : calcul de l’empreinte carbone, l’optimisation des ressources, la gestion des déchets…
qualité sociale des emplois : conditions de travail, rémunérations, gestion des emplois et des compétences, plans de formations…
qualité du management et de la gouvernance : mesure de la diversité des comités de direction, notamment l’intégration des femmes, indépendance des administrateurs…
relations avec les parties prenantes : choix des fournisseurs et sous-traitants en fonction de critères RSE (respect des droits de l’homme), relations pérennes et éthiques avec les partenaires…
transparence et lutte contre la corruption.
Les entreprises ont donc progressivement intégré ces indicateurs RSE à leurs rapports de gestion pour non seulement se conformer à la loi, mais aussi pour répondre à la demande croissante des parties prenantes externes (agences de notation, investisseurs, société civile) ; c’est ce qu’on appelle le « management environnemental ».
Définition :
Dans la norme ISO 14050, le système de management environnemental (SME) est défini comme une « composante du système de management global qui inclut la structure organisationnelle, les activités de planification, les responsabilités, les pratiques, les procédures, les procédés et les ressources pour établir, mettre en œuvre, réaliser, passer en revue et maintenir la politique environnementale. »
Le management environnemental a plusieurs objectifs, parmi lesquels : l’amélioration de l’image de l’entreprise et des relations avec le voisinage, l’obtention d’une certification environnementale (ex. écolabel), etc.
Ainsi, les normes et les labels se sont multipliés, au risque de devenir foisonnants et difficilement appropriables pour les novices en la matière. France Stratégie rappelle en effet que les pouvoirs publics encadrent fortement la publication des pratiques RSE :
« Au plan normatif, les pouvoirs publics régulent également la dynamique RSE en France en polarisant leur effort sur un référentiel international (ISO 26000) au travers de l’Afnor (représentant la France à l’ISO) et en manifestant sa volonté de valoriser les "bonnes pratiques" par des labels soutenus par l’État sur des thématiques RSE : labels Égalité, Diversité, Handicap, Achats responsables et au travers de la Plateforme RSE, des labels RSE sectoriels (à destination notamment des ETI, PME et TPE). Cette action normative peut manifester le souci des pouvoirs publics d’améliorer la lisibilité de l’offre de labels désormais pléthorique, la transparence des méthodologies utilisées et la priorité donnée à certaines thématiques. »
Frédéric Lehmann et Laurence Vandaele (2019), op. cit.
Si pendant longtemps, la performance globale des entreprises se résumait à leur performance économique et financière, on peut désormais se réjouir que les acteurs intègrent des critères de performance sociale et environnementale. Pour autant, on peut interroger le terme même de « performance ». La performance rend compte des objectifs, des actions et des résultats. On reste alors dans une logique de tableaux de bords et de reporting. Comme le soulignent Fabrice Flipo et Benoît Monange : « Les entreprises certifiées ne se distinguent donc pas forcément des autres parce qu’elles polluent moins, mais parce qu’elles savent comment elles polluent ; les autres l’ignorent, ou du moins doivent mettre en place une comptabilité distincte pour le savoir . »
Si la logique a incontestablement un intérêt (suivi, évaluation, comparaison), elle n’est, en outre, pas neutre du point de vue du travail, notamment pour les équipes chargées du pilotage de la RSE. Aujourd’hui, la RSE est considérée comme un sujet stratégique pour la plupart des dirigeants, mais cela n’a pas toujours été le cas. Plusieurs personnes que nous avons interrogées dans ce rapport témoignent des difficultés rencontrées par les professionnels en charge de fonctions RSE ; les organisations ne disposent pas toujours, ni des moyens, ni de la légitimité nécessaire pour atteindre leurs résultats :
« À l’époque, dans les années 2010, il faut se rendre compte que la personne que tu mettais au Développement Durable, c’était la jeune engagée, souvent brillante, mais dont tu ne savais pas vraiment quoi faire. Elle était seule ou elle gérait une toute petite équipe, un stagiaire tout au plus. Son rôle consistait à produire des rapports que personne ne lisait. Aujourd’hui, la transformation est fulgurante, les directeurs RSE sont parfois membres du COMEX ! En termes d’impact, ça change tout. »
Entretien avec Charlotte Gros, réalisé le 7 novembre 2022.
Dans certaines structures, notamment les petites entreprises, il arrive que les fonctions RSE soient encore déléguées à un stagiaire ou un alternant. Ce choix a une portée symbolique non négligeable ; le stagiaire, en position d’apprentissage, n’a pas la maturité professionnelle nécessaire pour mener des opérations stratégiques. Dans le cadre de la multiplication des normes et des lois, cela fait reposer sur des jeunes une responsabilité importante, voire démesurée. Nous avons ainsi rencontré Anna Zelcer-Lermine, 23 ans, qui a accepté de témoigner de son burn-out. Pour sa première année d’alternance, elle a été chargée RSE dans une entreprise de téléachat. Elle était alors la seule responsable de la RSE pour un groupe d’une centaine de personnes. Parmi ses missions : faire le bilan carbone et le plan de mobilité de l’entreprise, trouver une solution pour la gestion des déchets et le suremballage suite à la loi AGEC. Elle a ensuite enchaîné dans une autre PME, d’informatique cette fois. Elle se retrouve à mettre en œuvre, seule, une réorganisation RH (référentiel de compétences, grilles de salaire, aménagement du temps pour les salariés en situation de handicap, etc.). Sur le volet environnemental, elle fait le premier inventaire informatique du groupe, essaie de pousser des offres d’éco-conception… Le plus difficile selon elle : « se retrouver en sandwich entre deux pressions contradictoires, les salariés d’une part qui ont beaucoup d’attentes en terme de bien-être, et la direction qui a des attentes totalement différentes » Une sensation d’être pris en étau bien connue des chargés de projet, et qui témoigne de la précarité organisationnelle des postes qui portent le changement en entreprise.
La souffrance naît de la frustration et de l'impuissance de cette pression contradictoire. « J’ai envie de bien faire. Je suis la personne référente sur ces questions, mais ça n’avance pas parce que mes collègues ignorent mes emails ou ne me répondent pas… alors que tout est urgent ! Le rouage, c’est moi … » nous souffle Anna. Un phénomène que constate plus largement Claire Pétreault, créatrice et présidente des Pépites Vertes : « Parmi les jeunes qu’on accompagne, il y a beaucoup de burn-out militants : ils donnent énormément et ne s’arrêtent pas ; ils ont l’impression de porter la fin du monde sur leurs épaules . »
[1] Frédéric Lehmann et Laurence Vandaele (2019), « RSE et performance globale : mesures et évaluations », France Stratégie.
[2] Dans la note de France Stratégie, on lit ceci : « Il ressort que le reporting des entreprises est de plus en plus « fiabilisé » par l’évaluation des données publiées par un OTI (crédibilisation de l’information publiée et validation du respect du cadre légal). La mission de vérification des OTI, prévue à l’article L. 225-102-1 du code de commerce, vise à donner un avis sur la sincérité et sur les procédures du processus de reporting. » (Ibid.).
[3] Sont concernés les groupes ou entités dont l’effectif moyen est supérieur à 500 salariés permanents ; les entités cotées et assimilées, dont le chiffre d’affaires net dépasse 40 millions d’euros ou dont le total du bilan dépasse 20 millions ; entités non cotées dont le chiffre d’affaires net ou le total du bilan dépasse 100 millions d’euros. Voir : Ministère de la Transition énergétique (2021), « Le rapportage extra-financier des entreprises », ecologie.gouv.fr.
[4] Frédéric Lehmann et Laurence Vandaele (2019), op. cit.
[5] Benoît Monange et Fabrice Flipo, « Extractivisme : lutter contre le déni. La matérialité écologique de l’activité économique », Écologie & Politique, n°59, 2019, p. 19.
[6] Entretien avec Charlotte Gros, réalisé le 7 novembre 2022.
[7] Entretien avec Anna Zelcer-Lermine, réalisé le 9 août 2022.
[8] Ibid.
[9] Entretien avec Claire Pétreault, op. cit.
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