3.1.2. Promouvoir et s’inspirer des modèles basés sur les communs

Celles et ceux qui se préoccupent de la question écologique s’inspirent des principes des communs, notamment pour définir des principes de gouvernance plus respectueux du vivant.

Définition :

Les biens communs, ou tout simplement communs, sont « des ressources gérées collectivement par une communauté, celle-ci établit des règles et une gouvernance dans le but de préserver et pérenniser cette ressource [1] » nous indique le portail des Communs. Que l’on pense aux logiciels libres, aux AMAPs (association pour le maintien de l’agriculture paysanne), aux épiceries coopératives, ou encore à Wikipedia, les communs sont de plus en plus nombreux. Il s’agit de prendre soin d’une ressource matérielle (ressource naturelle, une semence, un outil de production, etc.) ou immatérielle (savoir-faire, connaissance), de manière collective.


[1] Le portail des Communs, « Qu’est-ce qu’un bien commun ? ».

D’ailleurs, il est intéressant de noter que le dernier rapport du GIEC consacre un chapitre entier aux questions de gouvernance. Pour la communauté d’experts scientifiques, il est extrêmement clair qu'il y a un lien entre la préservation des écosystèmes et la question de la gouvernance :

« La gouvernance, en particulier lorsqu’elle est inclusive et adaptée au contexte, est une condition importante pour la gestion des risques climatiques et l'adaptation. L’utilisation d’approches formelles et informelles de la gouvernance, souvent dans le cadre d’arrangements polycentriques entre acteurs publics, privés et communautaires, est de plus en plus reconnue comme importante dans de nombreux contextes décisionnels. »


« Chapiter 17: Decision-making options for managing risk » In IPCC [GIEC] (2022), « Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability », Working Group II Contribution to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, pp. 2 539-2 655. Traduction d’Olivier Piazza.

Les scientifiques parlent de gouvernance polycentrique, terme que l’on retrouve dans les travaux de la politologue et économiste Elinor Ostrom, spécialiste des communs et prix Nobel d’économie en 2009 Il s’agit de promouvoir un modèle de gouvernance qui implique les différentes parties prenantes, permet de prendre des décisions de manière concertée et de penser l’impact de ces décisions sur les écosystèmes. Olivier Piazza, co-directeur du D.U. d’intelligence collective de l’Université de Cergy Pontoise, précise que cette idée va à l’encontre du modèle dominant, à savoir, l’ultra-centralisation des décisions. Que l’on pense au fonctionnement des États ou des entreprises, la centralisation et la verticalité sont en effet la norme. Pour ce spécialiste des communs, l’affaire des « méga-bassines agricoles » qui a secoué l’ouest de la France en octobre 2022 est un exemple criant de passage en force :

« On est face à un système de gouvernance qui privilégie l’intérêt des grands agriculteurs au détriment de tout un ensemble de parties prenantes : les petits agriculteurs, les habitants du territoire, etc. C’est le même mécanisme que lorsque Total décide d’installer des gisements pétroliers en Ouganda et force des populations entières à se déplacer : la voix des communautés locales ne compte pas. »


Entretien avec Olivier Piazza, réalisé le 10 novembre 2022.

Difficile donc de se prétendre concerné par la question écologiste et ne pas repenser la façon dont sont prises les décisions au sein de son organisation. À l’échelle de l’entreprise, deux questions sont fondamentales : comment sont prises les décisions ? Comment est organisé le partage de la valeur ?

Dans les entreprises, les systèmes hiérarchiques sont considérés comme étant la seule manière d’organiser le travail, or, le rapport hiérarchique crée des jeux de pouvoir et de domination. Dans les années 2010, on a vu émerger des mouvements comme les « entreprises libérées » ou encore les entreprises « opales » (pour reprendre les termes du consultant Frédéric Laloux dans son ouvrage Reinventing organizations ) qui vantaient les principes d’auto-gouvernance et d’horizontalité des liens sociaux. Mais, la recherche a rapidement pointé les limites de ces organisations en relevant un certain nombre d’écueils (reconstitution de hiérarchies informelles, pas de place pour le dialogue social et la controverse, sur-valorisation d’un leader charismatique…). Pour Olivia Piazza :

« Ces démarches partent d’une bonne intention mais elles s’effectuent dans le cadre d’une structure juridique capitaliste. On se retrouve donc à vouloir tordre le système en permanence. Le but d’une société classique reste d’enrichir les actionnaires, tant qu’on n’aborde pas la question du partage de la valeur, le reste n’est que cosmétique. »


Entretien avec Olivier Piazza, op. cit.

Un modèle alternatif permet d’expérimenter d’autres manières de produire et d’interagir au travail, c’est celui de la coopérative. Né au XIXe siècle, le mouvement coopératif cherche à impliquer les travailleurs dans les processus de décision. Dès lors, les sociétaires sont propriétaires des moyens de production et le pouvoir est exercé de manière démocratique selon le principe suivant : « une personne = une voix ». La gouvernance de la structure est multipartite, il y a souvent trois catégories de sociétaires : les producteurs, les bénéficiaires et les partenaires (des communautés locales, par exemple).

Le modèle coopératif vise donc l’enrichissement collectif et un autre rapport au temps. En effet, la rentabilité à court-terme ne prend pas le pas sur le long-terme. Pour Jacques Landriot, le président de la CG SCOP (confédération générale des SCOP), ce modèle répondrait aux aspirations des jeunes générations. Dans une tribune publiée dans le Huffington Post en novembre 2022, il déclarait :

« En quête de transparence, d’équilibre personnel et professionnel, percutée par les urgences climatiques, économiques, énergétiques, sociales… Cette jeunesse a soif de nouveaux modèles. Et celui d’une société coopérative qui laisse place au collectif, s’inscrit dans le long terme, fonctionne démocratiquement et pratique le partage des richesses, y répond. »


Jacques Landriot (2022), « L'entreprise de demain existe...c'est une SCOP ! », Huffington Post.

Charlotte Gros, salariée en bifurcation vers l’économie sociale et solidaire, fait également le lien entre la question écologique et la gouvernance :

« Le fait de s’interroger sur les modèles de gouvernance, sur son rapport au travail, à l’argent et au succès amènent forcément à repenser son rapport à la consommation. Si tu questionnes tout ça, cela va répondre aux enjeux de sobriété. Je ne sais pas si on devient écolo en s’interrogeant sur le travail ou l’inverse, mais en tout cas c’est un cercle vertueux. »


Entretien avec Charlotte Gros, op. cit.

Chez Telecoop, opérateur télécom engagé chez qui elle a effectué une mission de 6 mois, elle confirme que le co-fondateur perçoit la coopérative comme « un laboratoire pour expérimenter de nouvelles façons de travailler, de partager la valeur, tout en prouvant que le modèle peut être rentable ».

Cependant, il ne s’agit pas seulement d’avoir opté pour le statut juridique de la coopérative pour réellement pratiquer la gouvernance participative. En effet, si l’exercice de la démocratie se limite à l’assemblée générale annuelle, mais que tout le reste de l’année, l’organisation n’a pas prévu d’espaces ni d’instances pour faire vivre la gouvernance partagée – et inclure les salariés aux choix stratégiques – alors la coopérative ne change pas fondamentalement les choses. « Pour structurer de véritables pratiques coopératives, il faut de la cohérence à tous les étages » rappelle Olivier Piazza. Qui sont les instances qui décident ? Sur quels sujets statuent-elles ? Qui composent ces instances ? Comment sont élues ces personnes ? À quelle fréquence se réunissent-elles ? Ce sont ce type de questions très concrètes qu’il faut se poser afin d’établir une véritable architecture de gouvernance, condition sine qua non pour organiser autrement la prise de décisions.

Ainsi, les coopératives créent les conditions pour que des liens sociaux de qualité émergent au sein des collectifs. Le modèle économique et juridique d’une structure, les pratiques de management et de prises de décision conditionnent donc nos manières de produire mais aussi d’interagir socialement au travail Si l’on définit l’écologie comme la préservation de la planète et des liens sociaux, le modèle coopératif apparaît comme porteur d’espoir.


[1] Le portail des Communs, « Qu’est-ce qu’un bien commun ? ».

[2] « Chapiter 17: Decision-making options for managing risk » In IPCC [GIEC] (2022), « Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability », Working Group II Contribution to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, pp. 2 539-2 655. Traduction d’Olivier Piazza.

[3] Voir Alice Le Roy (2012), « Des communs sans tragédie : Elinor Oström vs. Garrett Hardin », EcoRev’, n°39, pp. 24-27.

[4] France Télévisions (2022), « Bassines agricoles : pourquoi ces projets sont ils critiqués par les écologistes et les agriculteurs », francetvinfo.fr.

[5] Entretien avec Olivier Piazza, réalisé le 10 novembre 2022.

[6] Frederic Laloux (2015), Reinventing Organizations, Diateino.

[7] Voir notamment Hélène Picard (2015), « Entreprises libérées », parole libérée ? Lectures critiques de la participation comme projet managérial émancipateur », thèse en sciences de gestion, sous la direction de Françoise Dany, Université Paris Dauphine – PSL.

[8] Entretien avec Olivier Piazza, op. cit.

[9] Jacques Landriot (2022), « L'entreprise de demain existe...c'est une SCOP ! », Huffington Post.

[10] Entretien avec Charlotte Gros, op. cit.

[11] Telecoop est une alternative aux opérateurs téléphoniques classiques. La coopérative propose notamment des forfaits « sobriété » à 10€ qui proposent SMS et appels illimités, le coopérateur paie en plus sa consommation de données mobiles en fonction de son usage d’internet. L’idée est d’inviter le coopérateur à réinterroger ses propres usages et besoins.

[12] Entretien avec Charlotte Gros, op. cit.

[13] Entretien avec Olivier Piazza, op. cit.

[14] Selon la théorie de l’autodétermination (Edward L. Deci et Michard M. Ryan, 2000), il y aurait trois besoins psychologiques universels : le besoin de compétences, le besoin d’autonomie et le besoin d’affiliation. Si ces trois besoins sont nourris, les acteurs développent des comportements dits pro-sociaux comme l’entraide ou la coopération, en revanche, si ces besoins sont contrecarrés, on peut observer des situations de mal-être au travail et le développement de comportements dits a-sociaux, comme le repli sur soi ou encore la rivalité.

Dernière mise à jour