2.2.3. « Loyalty » : garder son emploi et trouver d’autres espaces de militance
Une combinaison pas toujours aisée
Quand il n’est pas possible de quitter un emploi dénué de sens, certains en cumulent deux. L’un « alimentaire » pour subvenir à ses besoins économiques, l’autre pour exercer sa passion ou pour agir en fonction de ses convictions. C’est la logique d’hybridation que l’on peut rapprocher de celle du slashing. Le « slasheur » s’est installé dans le paysage depuis 2015 ; le terme est entré dans le Larousse en 2020 avec cette définition : « personne, généralement issue de la génération Y, qui exerce plusieurs emplois et/ou activités à la fois ». Cette tendance peut être analysée comme un refus de l’hyper-spécialisation prônée par le monde du travail depuis les Trente Glorieuses mais aussi comme une revendication d’exprimer son plein potentiel. Le slashing, ou pluri-activité, s’est notamment développé grâce à l’essor des plateformes numériques qui ont permis d’organiser soi-même son travail (les freelances exerçant des métiers liés au web usent notamment de ses plateformes pour contracter des missions et augmenter leur visibilité). Les slasheurs revendiquent aussi le fait d’avoir plusieurs identités professionnelles et ne souhaitent pas se voir réduire à une activité, ou à une entreprise. Le mouvement du slashing peut donc être analysé comme une évolution positive du monde du travail où les travailleurs retrouvent une forme de pouvoir d’agir et expérimentent un nouveau rapport au travail, mais dans les faits, il s’accompagne souvent d’une précarité croissante
Une autre tendance que l’on pourrait analyser sous l’angle « Loyalty » est le phénomène de « démission silencieuse » ou « quiet quitting ». Le « quiet quitting » consiste à s’en tenir strictement à sa fiche de poste, pas plus. Pas d’excès de zèle dans l’espoir de se voir augmenté ou promu, pas d’heure supplémentaire, pas d’envoi de mail le week-end. Derrière ce mouvement – qui a fait grand bruit sur les réseaux sociaux en 2022 – il y a l’idée de remettre en question la culture du surmenage, la « hustle culture » (culture du burn-out ou de la productivité toxique). En cela, on peut voir dans le « quiet quitting » une forme de résistance aux injonctions capitalistes du travail : faire toujours plus… en vue de la rentabilité financière. En effet, ce désengagement n’est pas le signe d’un refus du travail en général. Certains « quiet quitters » choisissent de militer pour la cause écologique sur leur temps personnel. Le travail n’est alors pas résumé à l’emploi, ces jeunes actifs militent pour que le travail (au sens de l’emploi) ne soit plus considéré comme l’alpha et l’omega d’une vie réussie. Ainsi, ils peuvent choisir d’exercer d’autres activités sur leur temps personnel, plus en accord avec leurs convictions écologiques, ils militent par exemple pour des organisations de défense de l’environnement, s’investissent dans un jardin partagé ou encore des épiceries autogérées Un exemple parmi tant d’autres : l’ami d’Anna Zelcer-Lermine, que nous avons rencontrée en entretien, est commercial dans une grosse entreprise informatique « juste pour bien gagner sa vie», ce qui lui a permis d’acheter un terrain de forêt qu’il laisse vivre librement et d’avoir un local pour être professeur de yoga sur son temps libre.
Si certains cloisonnent leurs activités militantes et professionnelles – soit par choix, soit faute de mieux – d’autres actifs choisissent une troisième voie. Ni Exit, ni Loyalty, des salariés décident de faire entendre leur voix collectivement (Voice), et tentent alors de changer les choses de l’intérieur.
[1] Sarah Abdelnour (2018), Les nouveaux prolétaires, Textuel.
[2] Le site Coop’Lib recense plus d’une vingtaine d’épiceries autogérées à travers la France.
[3] Entretien avec Anna Zelcer-Lermine, op. cit.
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