2.3.2. Intégration de la RSE au cœur du projet d’entreprise, des expérimentations en cours

Au-delà de l’effort mis sur la formation interne, nous avons observé au cours des auditions une tendance intéressante. Un certain nombre des entreprises rencontrées nous disaient expérimenter un rapprochement, voire une fusion des directions RSE avec d’autres directions, en particulier la direction des ressources humaines. Une tendance qui semble trouver des échos dans l’enquête « Comprendre le besoin en compétences durables des entreprises : Sur quelles compétences la transformation vers un modèle d’entreprise durable doit-elle prendre appui ? » publiée au printemps 2022 par EcoLearn et Talents For The Planet Dans cette enquête, les entreprises sont interrogées sur les chantiers qu’elles considèrent prioritaires dans leur organisation au regard des enjeux écologiques. L’accompagnement des collaborateurs vers un modèle durable (sous l’angle « des ressources humaines, la gouvernance partagée et les enjeux de diversité et d’inclusion ») arrive en deuxième position, juste après la mise en place d’une stratégie climat. La proposition est jugée comme « très », voire « absolument » prioritaire par 86 % des répondants Si le profil des répondants n’est pas détaillé et qu’un biais de sélection ne soit pas à exclure, ce chiffre donne a minima un signal faible sur un changement de perception des enjeux RSE au sein des entreprises. L’enquête détaille plus loin :

« La durabilité touche à présent de manière transversale tous les métiers. L’époque où les questions durables étaient cantonnées au seul département RSE semble révolue. À l’exception de l’audit, tous les métiers sont considérés comme prioritaires par au moins un tiers des répondants. […] Classés ex-aequo en deuxième position [après la finance], la nécessaire transformation du marketing et des achats semble indiquer deux tendances : bannir définitivement le greenwashing et inclure les fournisseurs (et les autres partenaires) de l’entreprise dans la dynamique de durabilité. »


EcoLearn x Talents for the Planet (2022), « Comprendre le besoin en compétences durables des entreprises : Sur quelles compétences la transformation vers un modèle d’entreprise durable doit-elle prendre appui ? », p. 10.

Ce rapprochement entre les fonctions RSE et RH laisse entendre une adhésion croissante des entreprises à une vision systémique et globale des enjeux de durabilité. Et dans les faits, de plus en plus d’entreprises placent la responsabilité sociale et environnementale au cœur de leur modèle. Trois ans après la loi PACTE, ce sont près de 1 000 entreprises qui ont décidé d’inscrire dans leurs statuts leur engagement ; un nombre qui croît de façon exponentielle et concerne déjà plus de 530 000 salariés (pour en savoir plus sur les sociétés à mission, voir encadré définition ci-dessous).

Définition :

Une société à mission est une entreprise qui, au-delà de la simple recherche de rentabilité économique, se donne statutairement une finalité d’ordre social ou environnemental.

La qualité de société à mission a été introduite et définie juridiquement en mai 2019 avec la promulgation de la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transition de l’Entreprise).

Elle repose sur trois grands principes :

  • la définition d’une raison d’être et d’objectifs sociaux et environnementaux que se donne l’entreprise, tant envers son écosystème qu’elle-même ; c’est ce qu’on appelle la « mission » de l’entreprise ;

  • l’inscription juridique de cette mission dans les statuts afin d’engager formellement les actionnaires ; cette mission doit s’accompagner de critères ou conditions permettant son évaluation ;

  • la mise en place de mécanismes de contrôle associés à la mission, avec notamment un dispositif de gouvernance spécifique, le « comité de mission », composé d’au moins un salarié et de personnalités externes ; la société doit également faire l’objet d’évaluations régulières par un organisme tiers indépendant et peut voir sa qualité de société à mission révoquée si un ou plusieurs objectifs ne sont pas respectés.

Si l’inscription d’une « mission » dans les statuts peut s’apparenter pour les entreprises à un horizon à suivre – ou à une « étoile polaire » pour reprendre une formulation d’Arnaud Herrmann , le nombre d’organisations qui s’engagent, en pratique, ne cessent lui aussi de croître. Le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) est en constante expansion ; en 2021, il représente 10 % du PIB et près de 14 % des emplois privés en FrancePar ailleurs, de plus en plus d’entreprises se tournent vers les certifications dites d’impact positif. Parmi les plus prisées, la certification B-Corp, connaît depuis 2020 un véritable « raz-de-marée de dépôts de dossiers », selon les mots d’Augustin Boulot, directeur général de B lab France Un signal intéressant quand on le rapporte au faible taux de réussite de ces certifications (inférieur à 5 % pour le label B-Corp) et à la lourdeur administrative des démarches à entreprendre. Quelque chose semble en train de se jouer ici.

Pour Alexandra Ferre, directrice de l’Impact et de la transformation responsable (« Impact & Sustainable Transformation ») chez Yves Rocher, la RSE est une clé pour changer les cultures d’entreprise et transformer les organisations : « On ne peut pas impliquer sur des sujets environnementaux si les collaborateurs ne sont pas bien et que cela est à mille lieux de ce qu’ils vivent comme “expérience-collaborateur” » La démarche de certification B-Corp a été pour le groupe Rocher l’occasion de repenser les fonctions RH :

« La certification B-Corp a un grand volet RH autour de la responsabilité sociale qui balaye la santé/sécurité, le développement pro/perso, le bien-être des collaborateurs, etc. Ça vient chambouler la RH classique à la française ; la RH, ce n’est pas que de la gestion ! »


Entretien avec Alexandra Ferre, réalisé le 31 août 2022.

Au-delà des questions des recrutements, de la rémunération, des congés ou de l’attractivité, la direction des ressources humaines devient responsable de l’évolution des collaborateurs, dans et hors de l’entreprise. Cette prise de conscience a été le début de nombreux chantiers RH, notamment un travail autour de l’employabilité des salariés avec la mise en place de formations internes autour des enjeux écologiques (la « Nature Academy »). En parallèle, des formations RSE à destination des managers ont été développées : « ce n’est plus l’équipe Impact qui va auprès de chaque service, il faut que ce soit intégré à chaque service », commente Alexandra Ferre. L’harmonisation des standards sociaux (mutuelle, assurance vie, etc.) pour les 16 000 salariés du groupe, en France et à l’international, apparaît également comme prioritaire. Pour le pilotage de ces chantiers, le groupe a fait le choix de mutualiser un poste RSE/RH afin que les dimensions sociales et environnementales soient au cœur des démarches. Pour Alexandra Ferre, c’est presque un positionnement philosophique que la RSE impose aux RH : « Quel rôle des RH demain, dans un monde de plus en plus rude ? Quels grands débats adresser et qu’est-ce qu’on veut apporter ? Ce sont aujourd’hui ces questions que les RH doivent se poser »

La prise de conscience croissante des responsabilités multiples des entreprises et de la nécessité d’intégrer les enjeux écologiques dans la stratégie et l’organisation est rassurante. Néanmoins, si une dynamique semble se dessiner, il y a encore de nombreuses poches d’inertie. C’est ce que nous allons essayer de comprendre à présent.


[1] EcoLearn x Talents for the Planet (2022), « Comprendre le besoin en compétences durables des entreprises : Sur quelles compétences la transformation vers un modèle d’entreprise durable doit-elle prendre appui ? ».

[2] Op. cit., p. 11.

[3] Op. cit., p. 10.

[4] 88 sociétés à mission sont recensées sur le site de l’Observatoire des sociétés à mission au 2e trimestre 2021, à l’heure où nous écrivons ces lignes, elles sont plus de 910 [site consulté le 18 décembre 2022].

[5] En mars 2022, pour 505 sociétés à mission enregistrées.

[6] Entretien avec Arnaud Herrmann, op. cit.

[7] Éric Bidet (2019), « L’économie sociale et solidaire en France, un secteur en expansion », Informations sociales, n°199, pp. 10-13.

[8] Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielles et numérique (2021), « L’économie sociale et solidaire (ESS) », economie.gouv.fr.

[9] Agathe Beaujon (2022), « B Corp : comment fonctionne ce label qui séduit de plus en plus d’entreprises ? », Challenges.

[10] Entretien avec Alexandra Ferre, réalisé le 31 août 2022.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

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